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La répression des avocats chinois doit cesser

Mis à jour le 27 avril 2021

Lettre signée par Dominique Attias en soutien aux avocats chinois

Nous, avocats, juges et juristes signataires de la présente lettre, écrivons pour partager notre profonde préoccupation quant au mouvement de répression sans précédent qui s’est récemment abattu sur des dizaines d’avocats défenseurs des droits de l’homme et a conduit à la détention de plusieurs d’entre eux. Ce mouvement de répression a commencé le 9 juillet 2015 avec la détention de Wang Yu, de son mari Bao Longjun et de leur fils de seize ans à Pékin. Depuis, des centaines d’avocats, d’employés de cabinets d’avocats et leurs familles ont été assujettis à des mesures répressives allant de l’interrogatoire forcé à la détention en passant par la disparition forcée.

Au 18 janvier 2016, douze avocats et leurs assistants touchés par ce mouvement de répression sont toujours en détention ou ont été « officiellement » arrêtés au mois de janvier 2016 après six mois de détention arbitraire. La plupart d’entre eux sont accusés de «subversion du pouvoir d’Etat » ou « d’incitation à la subversion du pouvoir d’Etat ». Ces personnes sont listées ci-après : Bao Longjun, avocat et mari de Wang Yu, arrêté pour « incitation à la subversion du pouvoir de l’Etat » ; Chen Taihe, professeur de droit et avocat ; Gao Yue, assistante de l’avocat Li Heping, arrêtée pour « complicité de destruction de preuves » ; Li Chunfu, avocat ; Li Shuyun, avocat du cabinet Fengrui arrêté pour « subversion du pouvoir de l’Etat » ; Liu Sixin, ancien avocat et employé administratif du cabinet Fengrui ; Wang Quanzhang, avocat du cabinet Fengrui arrêté pour « subversion du pouvoir de l’Etat » ; Wang Yu avocate du cabinet Fengrui arrêté pour « subversion du pouvoir de l’Etat » ; Xie Yang, avocat arrêté pour « incitation à la subversion du pouvoir de l’Etat » ; Xie Yanyi, avocat arrêté pour « incitation à la subversion du pouvoir de l’Etat » ; Zhou Shifeng, avocat et directeur du cabinet Fengrui arrêté pour « subversion du pouvoir de l’État » ; Zhao Wei (Koala), assistante de l’avocat Li Heping « arrêtée pour subversion du pouvoir de l’État ».

Aucune de ces personnes n’a pour l’instant eu accès à un avocat, à sa famille ou à ses amis. Alors que certaines d’entre elles sont détenues parce qu’elles sont suspectées d’avoir prétendument commis des crimes ayant trait à la sécurité de l’État et à l’ordre public tels que « la subversion du pouvoir de l’État », d’autres, telles que Li Chunfu, ne sont soupçonnées d’aucun crime. Dans certains cas tel que celui de Me Zhou Shifeng, plusieurs éléments portent à croire qu’il a été victime de pressions pour « licencier » ses avocats de la défense. Enfin, le gouvernement chinois va jusqu’à nier que l’avocat Li Heping, frère aîné de Me Li Chunfu, a été placé en détention.

TORTURES

Nous craignons qu’à défaut de protection judiciaire et de représentation par un avocat, l’ensemble de ces personnes risque d’être torturé ou victime d’autres traitements cruels et inhumains. Nous sommes particulièrement inquiets de la situation de ceux qui ont été détenus et/ou victimes de disparitions forcées auparavant, tels que Li Heping, son frère Li Chunfu et Wang Quanzhang. Notre inquiétude est d’autant plus grande suite au constat effectué par le Comité contre la torture des Nations unies le 9 décembre 2015, selon lequel « [le Comité] reste profondément préoccupé par le fait que plusieurs rapports concordants montrent que la pratique de la torture et des mauvais traitements reste profondément ancrée dans la justice pénale [chinoise] qui repose de façon excessive sur les aveux pour obtenir des condamnations ». Par ailleurs, les médias officiels chinois ont diffusé plusieurs reportages qui accusent un certain nombre de ces « suspects » d’être des membres d’un gang qui se sert de « la défense des droits pour provoquer des troubles », et les montrent en train de « confesser » leurs fautes avant même leur mise en accusation officielle.

Le président Xi Jiping a affirmé à plusieurs reprises que « la Chine est un pays gouverné par la loi » et que « chaque cellule du Parti et chaque membre du Parti doit respecter la Constitution et les lois du pays et ne peut invoquer la direction du Parti comme un privilège qui les autoriserait à les violer ». Néanmoins, les événements décrits ci-dessus semblent aller totalement à l’encontre de ces engagements. De plus, au cours des deux dernières années, d’autres avocats connus pour leur défense des droits de l’homme ont été placés en détention, ou condamnés, notamment Pu Zhiqiang (condamné en 2015), Tang Jingling (en détention et en attente de procès depuis mai 2014) et Zhang Kai (en détention « en résidence surveillée dans un lieu désigné » depuis août 2015).

Nous rappelons que la Chine a signé et ratifié la Convention contre la torture et signé le Pacte international sur les droits civils et politiques. Par la détention et la disparition de ces avocats et employés de cabinets, la Chine viole ses obligations internationales ainsi que le droit et les principes constitutionnels chinois. Elle viole également les Principes fondamentaux des Nations unies sur le rôle des avocats, la Déclaration des Nations unies sur les défenseurs des droits de l’homme et l’Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement. Pour justifier sa revendication d’être considérée comme un membre responsable de la communauté internationale et obtenir le respect dû à son statut de superpuissance mondiale, il est indispensable que la Chine respecte ses engagements en matière de défense des droits de l’homme.

C’est pourquoi, nous vous exhortons à :

- Assurer la libération des avocats et des autres personnes détenus, y compris de ceux qui l’ontété malgré l’absence d’une quelconque base légale,
- Garantir que tous ceux soupçonnés d’infractions pénales ont accès à un avocat,
- Communiquer l’emplacement des victimes de disparition forcée,
- Garantir que les droits des personnes détenues, notamment leur droit à recevoir des soins médicaux appropriés soient garantis,
- Garantir que les avocats en détention et leurs collègues soient à l’avenir protégés contre toute mesure de contrôle telles que : la filature, les violences, la détention temporaire, les déplacements temporaires contraints, les interrogatoires officieux, la détention administrative ou judiciaire, la disparition forcée, la torture ou encore l’enfermement dans un hôpital psychiatrique. Nous continuerons à nous intéresser de près au destin de ces avocats et de ces employés à l’avenir.

Dominique Attias, vice-bâtonnière de Paris (France) ; Robert Badinter, ancien garde des Sceaux et président du Conseil constitutionnel (France) ; Asma Jahangir, juriste et présidente du barreau de la Cour suprême du Pakistan, membre fondateur de la Commission des droits de l’homme du Pakistan (Pakistan) ; Manfred Nowak, avocat, ancien rapporteur spécial de l’ONU sur la torture (Autriche). La liste complète des signatures pourra être consultée sur cette page 

Article Le Monde.fr le 20.01.2016 Par Collectif