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Baromètre des droits – Le secret professionnel : contexte et bilan

Mis à jour le 10 juin 2021

Le 11 mai dernier le bâtonnier Olivier Cousi a présenté la 2e édition du Baromètre des droits mené dans le cadre des Sentinelles des libertés lors d’une conférence de presse. Retrouvez la genèse, les résultats et les conclusions de cette étude consacrée au secret professionnel. 

Lancé par le barreau de Paris en avril 2020, dans le cadre des missions « Sentinelles des libertés », le baromètre des droits a pour objectif de réaliser des études sur l’état d’un droit donné en France. Chaque enquête procède de l’interrogation de deux cibles à comparer, via un questionnaire quantitatif :

  • un échantillon représentatif des avocats inscrits au barreau de Paris ;
  • un échantillon représentatif de la population française (hors avocat).

Les résultats de la deuxième étude du baromètre des droits portant sur « Le secret professionnel des avocats » ont été dévoilés par le bâtonnier Olivier Cousi le 11 mai dernier à la Maison du Barreau en présence de :

  • Anne-Marie Idrac, administratrice de sociétés, ancienne présidente de la SNCF, de la RATP et de l’aéroport de Toulouse ;
  • Hervé Temime, avocat et auteur de « Secret défense », Gallimard ;
  • Asma Mhalla, experte en Tech Policy, responsable de l’offre Éthique & Souveraineté numérique au sein du cabinet Onepoint, maître de conférences à SciencesPo Paris sur les enjeux politique de l’économie numérique ;
  • Denis Olivennes, chef d’entreprise, cogérant du journal Libération, co-auteur de « Mortelle Transparence », Albin Michel.


     

 

L’enquête a été menée par l’institut de sondages d’opinion en ligne MRCC. Deux cibles ont été interrogées entre le 8 et le 12 avril 2021. La première d’entre elles se composait de 1 000 individus, constituant un échantillon représentatif de la population française de plus de 18 ans, selon la méthode des quotas. La seconde cible incluait 607 avocats inscrits au barreau de Paris. Le questionnaire était court, puisque la réponse ne nécessitait pas plus de 5 minutes. Il était administré en ligne. Deux questionnaires différents ont en réalité été prévus sur le même sujet, à destination respectivement de l’échantillon de la population française et des avocats, qui ont nécessairement une approche différente du thème du secret professionnel.



Découvrez tous les résultats de l’enquête

93 % des français soutiennent le secret professionnel



Le bâtonnier Olivier Cousi constate que population générale et avocats sont sensibles à des thèmes identiques. Il observe que les menaces à l’encontre de la notion de secret, c'est-à-dire l’idée de transparence parfaite, cède le pas à un besoin de protection de la population. La population générale se positionne contre l’intrusion dans la vie privée, contre l’intrusion dans les questions personnelles, qu’il s’agisse de questions intimes en matière de droit de la famille, de droit pénal, etc., ou de questions plus générales, par exemple en droit des affaires. Il constate un décalage entre l’apparente volonté de transparence et les réponses au sondage.

La notion de lanceur d’alerte vient contrebalancer la notion de secret. Il existe un besoin de révéler des informations utiles à la société, créant une dichotomie, qui ne doit cependant pas empêcher un client d’accorder toute confiance à son avocat. Les chiffres montrent un besoin de confiance ; les avocats sont présents pour couvrir ce besoin de confiance. De son côté, la loi actuellement défendue par le garde des Sceaux est à saluer, car elle traite la question fondamentale de la limite entre les pouvoirs de l’enquête et les pouvoirs de la défense, avec l’objectif de protéger le secret. Olivier Cousi perçoit un bel exemple de démocratie en particulier dans le fait que les avocats ont travaillé sur le projet de loi.

Hervé Temime s’étonne du taux de 93 %. Il n’observe pas en effet cette tendance sur le plan privé, où l’attachement au secret est en déliquescence. La notion de secret n’est plus perçue comme une qualité, mais comme étant trouble, sulfureuse, voire inquiétante. Il évoque par conséquent une excellente surprise dans le résultat de l’enquête. Il a toujours pensé, en particulier, que la divulgation d’échanges entre un avocat et un homme ou une femme accusé par la justice était « innommable ». Il n’existe, selon lui, aucun cas qui pourrait justifier la publication de ces échanges. Un avocat doit notamment pouvoir plaider contre une vérité qu’il a recueillie.

Revenant à la loi défendue par le garde des Sceaux, il regrette simplement qu’une protection identique ne soit pas accordée à l’avocat conseil. Le secret professionnel n’est en effet pas le plus atteint dans le cadre de la défense pénale, mais dans le cadre d’activités de conseil. En l’occurrence, un chef d’entreprise qui consulte un avocat devrait avoir la certitude que leurs échanges seront couverts par un secret absolu. Il ne s’agit pas d’offrir une immunité ou une impunité aux avocats, contrairement aux affirmations de certains détracteurs du secret. En effet, si les avocats commettent des infractions dans le cadre de leur activité professionnelle, ils doivent être poursuivis, mais pas au prix d’une violation initiale du secret professionnel.

Denis Olivennes souligne à son tour que le secret (secret des avocats, secret des affaires, secret d’État, etc.) constitue un pilier de la société démocratique, de la société de liberté. Le secret est le fondement de la confiance, sans laquelle il ne peut exister de société d’individus aux relations pacifiques. Une société de liberté ne peut vivre sans possibilité pour un individu d’accorder sa confiance dans un certain nombre de situations.

Pour autant, la presse doit pouvoir transgresser tous les secrets, dans le cas d’une contribution à un intérêt général prépondérant au débat public, c'est-à-dire pour les nécessités de l’information des citoyens leur permettant d’exercer leur liberté de citoyen et de contrôler les pouvoirs. Denis Olivennes évoque simplement deux conditions : le respect du cadre défini par la loi ; le respect des règles déontologiques des journalistes.

Anne-Marie Idrac juge rassurant qu’il existe un plan sur lequel il est encore possible de se sentir en confiance, celui de la relation avec son avocat, à laquelle peuvent s’ajouter également par exemple la relation avec son médecin ou la relation avec les membres du clergé.

Asma Mhalla défend une position plus mitigée quant aux résultats de l’étude. Elle évoque un paradoxe entre d’une part l’attention à la confidentialité, au secret (médical, des affaires, etc.) et d’autre part les usages quotidiens, l’exposition permanente de soi et de sa vie privée. Or les implications de son exposition personnelle sont tout aussi impactantes que la liberté de parole autorisée avec son médecin ou son avocat.

97 % des Français accordent de l'importance aux menaces numériques



Asma Mhalla juge ce taux extrêmement positif. Elle y voit une prise de conscience des menaces numériques (cyber attaques, cyber piratages, etc.), notamment dans l’ensemble des échanges digitaux. Certes, les outils numériques sont neutres dans leur conception, mais constituent des moyens pour une finalité, une vision du monde, une idéologie. Il n’est pas question qu’ils inversent des valeurs, un état de droit, un cadre démocratique ou un contrat social initial. La question porte davantage sur la manière dont le numérique, les nouvelles technologies, l’intelligence artificielle, les algorithmes, etc., pourraient être compatibles avec un état de droit, avec des libertés fondamentales, et non pas être le prétexte pour les affaiblir.



Une réflexion est en cours sur ces sujets, en particulier sur la manière de faire converger une forme de performance économique liée à ces nouveaux outils et un état de droit, des libertés, un cadre de confiance.



34 % des avocats pensent que le respect du secret professionnel ne n'est pas dégradé au cours des années écoulées, contre 54 % qui évoquent au contraire, une dégradation



Hervé Temime estime que ce résultat traduit en réalité le fait que le secret professionnel a toujours été en danger. Même si le nombre des atteintes au secret professionnel n’est pas significatif, cette tendance n’est malheureusement pas récente.



 

Asma Mhalla rapporte que des logiciels de justice prédictive et de police prédictive sont en cours de déploiement, de test, de pilote, etc. Or une question fondamentale se pose quant au fait que les algorithmes se fondent sur des statistiques passées. Il existe par conséquent plusieurs risques.

En premier lieu, il existe des difficultés algorithmiques à obtenir un taux d’efficacité de 100 %. Les x % d’erreurs auraient ainsi des impacts sur autant de vies humaines, sans possibilité de recours, avec une complexité à comprendre la manière dont l’algorithme est parvenu au résultat

Le second risque relève de la philosophie politique. Il a trait au régime de vérité que la donnée installe. Sur la base du principe selon lequel les algorithmes seraient une science mathématique ou statistique froide, ils seraient la preuve d’une vérité. Cette perception est extrêmement grave, car les algorithmes sont en premier lieu des arbres de vision construits par des humains, selon des arbitrages, des choix, des opinions, etc. Le numérique peut ainsi amplifier des phénomènes de discrimination. Aux États-Unis, déjà, les logiciels de justice le montrent. En fonction du sexe, de l’ethnie, du niveau d’éducation, du lieu d’habitation, ils reproduisent et amplifient les formes de discrimination.

Enfin et surtout, l’entrée dans un monde d’algorithmes prédictifs transformera le régime de présomption d’innocence en un régime de présomption de culpabilité.

Hervé Temime, insistant sur l’importance de l’individualisation des peines, voit dans la justice algorithmique un cauchemar et un drame absolus.