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Avocats en danger : les témoignages de Fatimata M’Baye et Donald Hernandez

Mis à jour le 27 avril 2021

Mme Fatimata M'Baye et M. Donald Hernandez, fervents défenseurs des droits de l'homme, nous ont délivré leurs témoignages sur les dangers que présente la profession d'avocat de par le monde.

L’Observatoire International des Avocats en Danger a été officiellement créé le 10 décembre 2015 à la Maison du Barreau. A l’occasion de cette inauguration, deux avocats défenseurs des droits de l’homme nous ont livré leurs témoignages : Mme Fatimata M’Baye et M. Donald Hernandez se battent chaque jour pour que soient respectés la dignité et les droits fondamentaux des habitants de leurs pays respectifs quelles ques soient les menaces dont ils peuvent faire l’objet dans l’exercice de leur profession.

M. Richard Sédillot, Vice-Président du Conseil National des Barreaux, et M. Jacques Bouyssou, Membre du Conseil de l’Ordre et Secrétaire de la Commission Internationale du barreau de Paris, ont interviewé successivement nos deux grands invités.

Témoignage de Mme Fatimata M’Baye

Présidente de l’Association Mauritanienne des Droits de l’Homme depuis 2003 et ancienne vice-présidente de la FIDH, Mme Fatimata M’Baye a reçu en 1999 le Prix International des Droits de l’Homme de la ville de Nuremberg, récompensant les personnalités remarquées par leur combat pour le respect des droits de la personne humaine. En 2002, elle reçoit des mains d’Hillary Clinton le prix américain Trafficking in Persons Report qui récompense la lutte contre le trafic d’êtres humains.

Mais surtout, Mme Fatimata M’Baye est la seule femme inscrite au barreau de Mauritanie, ses consœurs portant le titre d’avocat sans monter à la barre. Tombée « amoureuse » de la robe noire depuis ses jeunes années de collégienne, Mme Fatimata M’Baye explique que son grand défi était de devenir avocate dans un pays où le statut de la femme est peu reconnu. Le métier d’avocat a toujours été perçu comme étant un métier d’homme et en exclue toujours la gente féminine. Devenir membre de l’Ordre des Avocats de Mauritanie a été pour Mme Fatimata M’Baye une façon de montrer que les femmes étaient aussi dignes de cette fonction que les hommes.

Mme Fatimata M’Baye est aujourd’hui déterminée à faire respecter les droits de l’homme dans une société figée qui pratique la discrimination. Elle mène notamment deux combats remarquables, contre la discrimination dont sont victimes les noirs mauritaniens, et contre l’esclavage encore largement pratiqué en Mauritanie. En effet, Mme Fatimata M’Baye explique que malgré l’abolition définitive de l’esclavage en 2007, l’inscription du crime d’esclavage dans la Constitution mauritanienne, la création d’institutions spécialisées pour accompagner les victimes et tous les efforts des défenseurs, l’esclavage demeure une pratique usuelle dans la société. Plus grave, l’Etat continue de combattre les défenseurs qui se battent contre les pratiques esclavagistes. Ceux-ci sont fréquemment menacés, condamnés ou emprisonnés. Son propre activisme l’a d’ailleurs conduite plusieurs fois en prison où elle a connu la torture et les abus des geôliers.

Si les discriminations existent sous des formes diverses dans toutes les sociétés, Mme Fatimata M’Baye explique que la situation devient particulièrement préoccupante lorsqu’une société s’est officiellement engagée à lutter contre ce qu’elle cautionne paradoxalement dans la pratique, incapable de faire respecter ses propres lois. En Mauritanie, les défenseurs luttent donc chaque jour pour le respect des droits de l’homme et contre la discrimination, l’esclavage et l’inégalité sociale.

M. Richard Sédillot souligne à ce titre que Mme Fatimata M’Baye a eu le courage de prendre la défense de Mohamed Cheikh Ould Mkheitir, jeune homme mauritanien condamné à mort pour apostasie le 24 décembre 2014 à Nouadhibou. Il a été inculpé après avoir publié sur internet des écrits considérés comme blasphématoires. Mme Fatimata M’Baye explique que ce jeune homme est en réalité un « prisonnier d’opinion » : il a simplement exprimé sa position vis-à-vis du fonctionnement de la société au temps du Prophète, ce qui ne constitue pas un crime d’apostasie ni même un crime tout court.

De plus, sa repentance publique dans la salle d’audience, sur laquelle ses avocats ont insisté, n’a pas été prise en compte dans la décision de justice. Mme Fatimata M’Baye se dit consternée par cette condamnation. Pour avoir rencontré l’accusé en prison, elle sait de plus qu’il est musulman pratiquant. Mme Fatimata M’Baye souligne également l’incohérence de la constitution de partie civile dans cette affaire, dans la mesure où les parties civiles sont difficilement identifiable en cas d’apostasie.

Mme Fatimata M’Baye rapproche ce cas du tragique massacre du 28 novembre 1990 : ce jour-là, 28 militaires mauritaniens de la base d'Inal, dans la région de Nouadhibou, ont été pendus pour célébrer de façon macabre le trentième anniversaire de l'indépendance. Quarante-cinq ans plus tard, le 28 novembre 2015, à l’occasion des célébrations de la fête nationale, Mme Fatimata M’Baye aurait dû recevoir une médaille des mains du Président. Mais elle a décliné l’offre présidentielle et refusé d’être décorée un jour où les droits de l’homme avaient été ouvertement bafoués. Le Président de l’époque qui avait exprimé son incompréhension envers la sentence s’était pourtant abstenu de les gracier.

M. Richard Sédillot note que Mme Fatimata M’Baye figurait parmi les nominées au registre des figures à décorer à l’occasion de la commémoration de la fête nationale française du 14 juillet 2014.

Mme Fatimata M’Baye conclue en saluant le barreau de Mauritanie comme étant le dernier bastion des libertés dans une république islamique familière des régimes militaires et des entraves aux libertés. Elle souligne que le métier d’avocat est un métier à risque car, étant les premiers défenseurs des droits de l’homme, les avocats sont devenus des cibles privilégiées, à l’image du défunt bâtonnier Elçi assassiné le 27 novembre dernier.

Mme Fatimata M’Baye rappelle enfin qu’aux côtés de ses confrères, dans l’ombre, ses « consœurs » jouent également un rôle majeur et sont tout autant victimes de menaces et de violence. Dans beaucoup de pays africains, les femmes défenseures courent le risque d’être lapidées faute d’un véritable statut face au règne sans partage de la gente masculine sur la profession. D’après les mots de Mme Fatimata M’Baye, « les autres ont besoin de nous, mais nous avons besoin des autres ». Elle appelle de ses vœux un travail solidaire en réseau afin de renforcer la lutte des confrères et des consœurs en danger en Mauritanie.

Depuis le 10 décembre 2015, Mme Fatimata M’Baye est la première co-présidente de l’Observatoire International des Avocats en Danger, aux côtés de M. Robert Badinter, ancien Garde des Sceaux et fervent partisan de l’abolition de la peine de mort en France.

Témoignage de M. Donald Hernandez

M. Donald Hernandez est un avocat pénaliste du Honduras spécialisé dans les questions environnementales et minières. Depuis 2010, il travaille pour le Centre hondurien de promotion du développement communautaire (CEHPRODEC) comme coordinateur du domaine juridique et du département des droits humains et de l’environnement. Il offre également un service juridique en matière pénale, civile et administrative aux défenseurs des droits humains souvent menacés au Honduras. C’est la raison pour laquelle M. Donald Hernandez est depuis 2013 sous la protection de l’organisation Peace Brigades International (PBI) Suisse, et bénéficie à partir d’aujourd’hui du soutien de l’Observatoire International des Avocats en Danger.

Le Honduras présente des statistiques tragiques pour les avocats : en 2014, 11 avocats ont été assassinés et sur la période de 2009 à 2015, 140 avocats ont été tués. De manière générale, le Honduras est un des pays les plus violents du monde. D’après les chiffres donnés par la police hondurienne, on dénombre 1580 morts violentes en 2015 et probablement 1600 en 2016 si la tendance continue.

M. Donald Hernandez explique que la difficulté du travail de l’avocat au Honduras est essentiellement liée au problème récurrent du narcotrafic : le Honduras comme beaucoup de pays d’Amérique centrale constitue le marché de consommation privilégié des Etats-Unis et subit des conflits de territoires entre groupes rivaux très meurtriers. Le deuxième problème est celui de l’accaparement des terres des populations autochtones par les grandes compagnies transnationales exploitant les ressources minières et pétrolières. Les populations sont chassées de leurs terres ancestrales et leurs sources d’eau potable se trouvent polluées par les activités d’extraction.

Face à l’Etat hondurien qui détermine l’organisation de cette industrie minière, les avocats ont la lourde tâche de défendre les personnes spoliées de leurs biens alors même qu’elles ont le droit de rester vivre sur les terres de leurs ancêtres. Les avocats deviennent donc les ennemis du système, de l’Etat et de la police, d’où leur situation extrêmement risquée. De plus, M. Donald Hernandez souligne que les ordres d’avocats honduriens n’agissent pas en faveur des confrères assassinés, laissant les défenseurs seuls dans leur lutte.

M. Jacques Bouyssou rapproche ce combat des préoccupations qui animent les négociateurs de la COP 21 réunie à Paris et qui semble aller dans le sens de la défense des peuples autochtones et de leur environnement. M. Donald Hernandez annonce qu’en effet, dans sa déclaration à la Conférence, le Président hondurien s’est dit favorable à des mesures pour limiter les effets du changement climatique. Mais il note que le Président n’a pourtant pas annoncé que les terres seraient rendues aux populations ou qu’un terme serait mis aux projets miniers contaminant les sols. Ses paroles ne semblent pas être suivies d’actes sur le terrain.

M. Donald Hernandez conclue qu’aujourd’hui, c’est le droit de vivre dans un environnement sain et le droit même à la vie qui sont en péril au Honduras. Les populations autochtones sont celles qui paient le plus lourd tribut aux avancées technologiques des grandes villes, récupérant dans leurs sols les polluants des ordinateurs et autres outils numériques… qui ne font pourtant pas partie de leur mode de consommation.

M. Donald Hernandez note enfin que les défenseurs de défenseurs sont également en danger. Leurs familles vivent sous la menace constante de ne jamais les revoir ou d’être elles-mêmes victimes d’intimidations. Cette triste situation appelle à agir pour les avocats du Honduras et les défenseurs qui tentent de les protéger en se mettant eux-mêmes en danger.